samedi 15 août 2009

Sur un apparent paradoxe

On a souvent tendance à dire que le plaisir procuré par la lecture de l'oeuvre de Renaud Camus tient à la possibilité de projection et d'identification du lecteur à cette oeuvre (surtout concernant le Journal) et donc à son auteur (puisqu'il en est la matière première et souvent l'objet).
« Oh ! Il a des labradors, moi aussi ! Ouh là là ! Il aime caresser des torses velus, moi aussi ! Fichtre ! Il a horreur de l'odeur des oranges, comme moi ! Etc. »
Ce plaisir-là existe, cet effet miroir, cette satisfaction de se sentir exister par-delà soi, très gratifiante et confortable, c'est indéniable.
Mais beaucoup plus mystérieux est ce sentiment d'accointance à l'égard d'expériences, sentiments et désirs en tout opposés à ce que l'on est.
Moi, Pascal Labeuche, n'ai jamais eu de chien, n'aime rien tant que la douceur imberbe d'une poitrine féminine et l'odeur des oranges est une des plus exquises que je connaisse.
Et pourtant, je ne peux m'empêcher de prendre un immense plaisir lorsque je lis Camus nous raconter par le menu ses aventures canines, homosexuelles et olfactives (pour ne parler que d'elles).
« Oui, c'est vrai ça, c'est écoeurant cette odeur d'orange dans cette salle de concert (moi qui rêverais d'écouter Bach avec un parfum d'orange !), c'est émouvant cette promenade quotidienne avec ses chiens (moi qui trouverais vite "rengaine" ce devoir ingrat), c'est enthousiasmant ce frottage de bite contre le corps (moi qu'un simple contact physique un peu trop rapproché et pourtant fortuit avec un homme rebute) » !
C'est que, paradoxalement, la précision farouche de l'écriture camusienne transcende son objet : c'est cela, la littérature, il me semble. Le particulier érigé en universel. Le transcendement permanent. Une orange, écrite, est toujours une orange : mais une orange comme on n'en a jamais vu, en même temps qu'une orange qu'on a toujours eue sous les yeux mais qu'on n'a vraiment jamais vue; l'orange qu'on veut, qu'on croit vouloir, mais qui n'existerait pas sans son auteur.
Inutile, dès lors, de se demander pourquoi cet auteur peut susciter autant d'intensité passionnelle : par lui, c'est de chacun de nous qu'il parle. En lui, c'est donc nous que nous cherchons. Par la littérature. Par sa littérature.

7 commentaires:

Georges de La Fuly a dit…
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Pascal Labeuche a dit…

Exacdement !

Georges de La Fuly a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Madame a dit…

Envie de vous écouter"écouter Bach en mangeant une orange", toujours pas envie de lire R.C. Ce que j'ai trouvé c'est le goût de l'orange dans la musique de Bach. Plus jamais l'orange et Bach n'auront le même goût, merci Pascal.Je goûte.

Pascal Labeuche a dit…

Goûtez, goûtez, énigmatique Madame, mais ne me dévorez pas, quand même...

Georges de La Fuly a dit…

Les rognons de veau, aussi, c'est pas mal…

Mallarmé a dit…

"Je dis : une fleur ! et, hors de l'oubli où ma voix relègue aucun contour, ... musicalement se lève, idée même et suave, l'absente de tous bouquets"